Il y a quelques semaines, je vous avais parlé de Clash Back [1], un serious game faisant office d'outil de médiation lors de la discussion entre adolescents « à problèmes », en mal de communication et les adultes, notamment les parents. Mais les serious games sont-ils les seuls moyens vidéoludiques de resserrer le lien entre le parent et l'adolescent / l'enfant ? Si on prenait un jeu un peu plus léger cette fois ? Construire son histoirePour des considérations plus générales sur Tomodachi Life, référez-vous au précédent article [2], car ici, on va plutôt s'intéresser aujourd'hui à la décortication des relations humaines dans le jeu, entre relations d'amitié, d'amour et de parentalité ; pour cela, nous allons nous intéresser tout d'abord à la position du joueur par rapport au jeu Tomodachi Life. En effet, le joueur semble maître de toutes les relations qu'il va construire entre les Mii, les personnages qu'il aura bien évidemment préalablement créés sur sa console. Donc libre à lui d'aimer qui il veut, de faire se détester qui il veut ou même d'être le meilleur ami d'une star ! Enfin, c'est au moins l'illusion que veut donner la console qui va guider le joueur, en ce sens qu'elle va prescrire des comportements aux personnages ainsi que des relations que le joueur pourra cautionner ou refuser. La console va jouer son rôle de prescriptrice en envoyant automatiquement un de vos Mii travailler à la brocante, ou en envoyant aléatoirement des Miis dans les divers lieux de promenade (parc d'attractions, café, plage, tour d'observation, etc). Pratique cependant pour des gens qui n'oseraient pas faire certaines associations de Miis, mais moins pour ceux qui voudraient vraiment choisir le comportement de leurs avatars immédiatement. Cependant, le dernier mot revient finalement toujours au joueur, qui est ici propulsé au rang de Dieu des Mii, personnifié en tant que « Sosie de ______ », car le premier Mii créé est censé être l'avatar du joueur, même si les activités pour lesquelles le joueur est réellement décisionnaire sont très limitées. Le joueur a toujours le droit de refuser une décision prise par sa console à sa place, car après tout, ce n'est pas la console qui va décider à la place du joueur ! La console va vous proposer des situations diverses et variées et vous pourrez répondre par Oui ou par Non, plus subtilement par des réponses plus nuancées (« Mauvaise idée », « Fonce ! » ou « Je ne crois pas... ») ou encore par diverses propositions de situations et de mises en scène. - J'aimerais devenir ami avec _________. Comment dois-je l'aborder ? - J'aimerais me mettre en couple avec ________. Qu'en pensez-vous ? - J'en pince pour _______. Devrais-je lui déclarer ma flamme ? - Je pense que _______ et moi avons des atomes crochus. Qu'en-pensez vous ? - Je désire avoir un enfant avec _______. Qu'en pensez-vous ? Ainsi, un joueur malin et qui joue à fond son rôle de prescripteur voudra ainsi contrôler chacune des réponses de ces avatars, sans pour autant pouvoir empêcher la naissance de relations d'amitié basées sur la rencontre aléatoire de Miis entre eux, par la visite d'un voisin à un autre. Un joueur qui voudra juste vivre son expérience de jeu au jour le jour pourra ainsi prendre chacune des relations prescrites par son jeu, et dévier des schémas traditionnels, en créant relations et couples insolites. Dans tous les cas, les joueurs vont faire interagir leurs personnages dans le but de raconter une histoire propre, une histoire fidèle à LA réalité ou fidèle à SA réalité. Finalement le joueur est spectateur car il est possible pour lui de regarder ses Miis se mettre en scène de façon quasi automatique, mais c'est surtout un spect-acteur, car non content de regarder l'histoire de ses Mii, il peut avoir main mise sur leur histoire. La famille selon Tomodachi LifeTomodachi Life, ça reste un jeu à l'ambiance bon enfant, voire un peu lisse, ne l'oublions pas malgré les situations cocasses que peuvent amener le jeu. Qui dit jeu lisse dit que toutes les possibilités ne sont pas envisageables... mais presque cela dit ! Dans les interdits du jeu, nous pourrons signaler notamment l'impossibilité de relations homosexuelles entre deux personnages : deux hommes ne pourront être tout au plus que meilleur ami, ou quand la relation idyllique se termine en friend-zonage. Cela a d'ailleurs déclenché une polémique au sein de la communauté LGBT, et Nintendo s'est d'ailleurs exprimé sur le sujet [3]. D'autres interdits plus évidents aussi, l'impossibilité de marier un adulte (18 ans et plus) et un enfant (17 ans et moins) pour des raisons évidentes. Tout le reste semble possible en termes de relations, pourvu que l'on soit un peu patient ! En termes de relations amicales, il n'y a pas grand chose à signaler, car tout le monde peut être ami avec tout le monde. Mais bien évidemment, tout le monde ne sera pas ami avec tout le monde, c'est comme dans la vraie vie ! Ainsi de nombreuses rencontres entre Miis ne vont pas aboutir à une relation amicale, bien que parfois, ce soient les Miis eux-même qui demandent à aborder un de leurs voisins pour essayer de nouer une relation amicale. Chaque Mii aura aussi un meilleur ami dont la distinction est fondamentalement... de voir sa relation avec votre Mii se faire questionner tous les quatre matins, et en fait, c'est un peu rébarbatif au bout d'un moment. Pour ce qui est des relations amoureuses, mis à part les interdits cités ci-dessus, la liberté de faire à peu près ce qu'on veut (toujours en étant guidé par la console, cela dit) est présente. Ainsi, vous pourrez par exemple marier le Mii de Justin Bieber à celui de votre grand-mère sans trop de scrupule, par exemple. On notera la présence d'un testeur de compatibilité entre vos Miis qui se décline en deux outils : un premier outil qui calculera le taux de compatibilité entre deux Miis, en se basant sur leurs dates de naissance, et un deuxième outil qui indiquera les prévisions relationnelles entre vos deux Miis. Somme toute, on vous mettrait un horoscope, c'est la même chose, et on pourrait penser que le jeu s'ancre dans des croyances astrologiques fantaisistes ! Pour ce qui est du concret cette fois, une fois que deux de vos Miis se seront suffisamment rencontrés, l'un d'entre eux vous demandera s'il peut ou non faire sa demande à son/sa partenaire potentiel(le), et après avoir renseigné le lieu et/ou la modalité de la demande, vous pourrez assister à la formation d'un couple... ou à un râteau bien violent, ou encore pire, à la formation d'un triangle amoureux ! Celui-ci se soldera le plus souvent par un échec cuisant pour les deux prétendants... Une fois ces deux personnes gentiment mises en couple, rien a priori ne pourra jamais les séparer, mais le risque qu'un couple, même marié, même avec des enfants, puisse se séparer reste présent (mais rare). La séparation est présente bien que sommairement exploitée : l'un des Miis du couple vous dira grosso modo qu'il en a marre et vous devrez ou non abonder dans son sens pour casser ou non le couple... et puis c'est tout ! Cela ne laissera comme unique trace qu'une catégorisation mutuelle de ces Miis comme « anciens époux » si le couple était marié, chaque enfant gardant bien évidemment ses deux parents, même si à eux, on ne leur a rien demandé au sujet de la séparation de leurs parents. Finalement, Tomodachi Life est un jeu qui ne veut pas trop s'étendre sur la question de la séparation, et au vu du public visé par le jeu (le jeu est classifié PEGI 3+), cela peut se comprendre. En ce qui concerne le mariage, il se fait naturellement après un laps de temps partagé par le couple, et l'un des Miis du couple effectuera sa demande en mariage à son amoureux(se) via un mini-jeu assez casse-pieds, mais rien de trop compliqué non plus. Après cela, s'ensuit la plus classique des cérémonies de mariage, en extérieur, avec le marié en costard noir, la mariée en robe blanche, quelques invités en train d'applaudir et le lancer de bouquet final ! Puis vient la lune de miel puis l'installation du couple dans une maison (à noter que les deux membres du couple gardent leur appartement, des fois qu'ils voudraient garder un contact avec les autres Miis de votre jeu). Une image très traditionnelle du mariage, qui semble néanmoins coller à un idéal, à un monde parfait où l'on pourrait directement emménager avec son conjoint une fois marié, chose qui n'est pas forcément au goût du jour à une époque où les principaux stades de vie liés à l'indépendance sont différés, c'est-à-dire que de nos jours, avoir un travail, avoir une relation stable et s'installer quelque part, ça ne se fait plus en même temps. Enfin, en ce qui concerne les naissances, il y aurait fort à dire, dans un jeu où notamment, le temps semble ne pas passer, avec des personnages qui ne vieillissent jamais, sauf pour les enfants, dont l'enfance se déroule en 6 jours, avec des images de l'enfance là encore traditionnelles. Ainsi, les Miis parents pourront vous solliciter pour consoler le bébé qui pleure, jouer avec bébé à coucou-caché, jouer dehors avec bébé, etc. L'adolescence semble ici passée sous silence si vous ne vous intéressez pas directement à la chose, car aucune interaction ne vous sera demandée par les parents au moment où l'enfant est adolescent. Le jeu prend le parti de passer l'adolescence sous silence, mais en même temps, on peut se demander où se trouve l'école et puis les copains de leur âge aussi... Une fois les six jours de jeu passés, l'enfant a grandi et devient adulte, et on donne le choix au joueur de faire partir l'enfant en voyage (en le faisant voyager de console en console via StreetPass) ou de le faire emménager comme les autres Miis dans un appartement. Autrement dit, on expulse en quelque sorte l'enfant du cocon familial de façon radicale, un peu comme pour la jeunesse japonaise finalement, qui de toute façon, doit la plupart du temps s'expatrier à l'autre bout de son pays pour faire ses études à l'université, selon son classement au concours national à la fin du lycée. Se montrer des choses plutôt qu'en parler ?Si on reprend les propos de Xavier Pommereau, psychiatre spécialiste des maux de l'adolescence, la communication avec des adolescents hyperconnectés, qu'il appelle d'ailleurs lui-même « ados.com », ou encore les « enfants de la communication », passe par des canaux différents à ceux qu'on aurait utilisés il y a dix ans. D'après lui, les adolescents ont tendance à se raconter davantage par ce qu'ils montrent que par ce qu'ils disent. La pratique des réseaux sociaux par les adolescents en est un très bon indicateur. Autrement dit, le nouveau langage, c'est l'image. Pour aller plus loin que ses propos, qui avançaient que les « serious game » étaient un très bon moyen de médiation thérapeutique, on peut se poser la question suivante : est-ce que les jeux vidéo mettant en scène la famille plus généralement peuvent être un média pertinent dans la communication parent/enfant ? Selon les différentes vidéos promotionnelles présentes sur la chaîne Youtube de Nintendo France, cela semble effectivement le cas ! Les vidéos promotionnelles montrent ainsi une relation fusionnelle entre le parent spectateur et l'enfant prescripteur, qui va choisir de montrer ce qu'il a envie de montrer ! L'enfant ici a souvent le souci de créer l'exacte réplique de chaque personne de son entourage (père, mère, copains, frères, sœurs) mais n'hésite pas à laisser la magie du jeu opérer en créant des Miis imaginaires, et surtout, en laissant les relations se construire toutes seules ! L'enfant implique ses pairs et ses pères à travers les Miis dans des aventures virtuelles, ce qui favorise le dialogue au sein de la famille notamment, via la narration des histoires folles des Miis de chacun. [4] Cela permet d'ouvrir le dialogue à des thématiques "inédites" comme l'avenir, car le jeu traite déjà de cette thématique difficile. C'est aussi le partage d'un moment ludique où les rapports de force parent-enfant ont tendance à s'inverser, car l'enfant (cible principale de ce jeu) va parfois laisser jouer l'un de ses parents, qui va devoir rapporter toute action ou situation qui mérite de l'être [5], car imaginez bien que si l'enfant retrouve sa partie modifiée avec des relations dont il n'était pas au courant... aïe aïe aïe la crise ! Finalement à travers ce jeu qui favorise la communication intergénérationnelle (et pas que !), les enfants vont prendre eux-même l'initiative de communiquer quelque chose à leurs parents, et choisissent ce qu'ils vont leur dire, d'autant plus que là, ils vont prendre la liberté de conter des messages que peut-être ils n'auraient pas fait part s'ils n'avaient pas eu le jeu. Le fait que les artefacts du jeu soit à la base une création pure de l'esprit enfantin va laisser l'enfant s'exprimer plus facilement sur l'histoire qu'il va raconter et surtout qu'il va partager ! Mais finalement, même s'il est important, le contenu du message passe au second plan, pourvu que la communication parent-enfant soit là, c'est-à-dire que la communication ici est une question de relation plus que de transmission d'un message particulier. Dire quelque chose par l'intermédiaire du jeu à l'aide d'un univers qu'ils connaissent et qu'ils élargissent, c'est tout ce pouvoir de médiation que ce jeu va finalement apporter à des familles où on a du mal à s'ouvrir à l'autre [6]. Comme quoi les jeux vidéos, ce n'est pas forcément une perte de temps. En savoir plus...[1] http://unoeilsurlejv.weebly.com/un-oeligil-sur-le-jeu-videacuteo/clash-back-renouer-le-dialogue-avec-le-jeu-video (un article sur Clash Back, un serious game à visée de médiation thérapeutique, dans le but de renouer le dialogue avec les adolescents en les confrontant à des situations de conflit) [2] http://unoeilsurlejv.weebly.com/un-oeligil-sur-le-jeu-videacuteo/pub-nintendo-kev-adams-revisite-la-famille-de-tomodachi-life (premier article sur Tomodachi Life, concernant la campagne publicitaire en partenariat avec SODA, contenant une présentation succincte du jeu) [3] http://www.gamalive.com/actus/20589-tomodachi-life-nintendo-excuses-homosexuel-gay-lesbien.htm (Nintendo présente ses excuses à la communauté LGBT pour l'impossibilité de créer des relations homosexuelles entre Miis) [4] https://www.youtube.com/watch?v=y-Pduzl8Sr0 (Communication au sein de la famille) [5] https://www.youtube.com/watch?v=oQXRzRmzcVA (Les relations mère/fille) [6] https://www.youtube.com/watch?v=paddiJa0Pyo (Le décryptage du Dr RAAB) Jean-Paul Durand pour Un Œil sur le Jeu Vidéo.
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L’ŒIL D'UN ÉTUDIANT EN COMMUNICATIONÉtudiant en Master Pro Communication & Générations (spécialité jeunesse et enfance) à l'université Bordeaux Montaigne.
Joueur de jeux vidéos, mais pas que. Je vous propose un regard éclairé sur la notion de jeu vidéo et toutes ses extensions. Ne vous attendez pas forcément qu'à du Pokémon, Call Of Duty, FIFA ou des Sims. Je compte aussi sur mon expertise en japonais et en linguistique pour créer un regard analytique novateur sur l'actualité vidéoludique. Twitter : @jpdurd Archives
Mars 2015
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